Il était une fois, Sylvie, une magnifique pie toute noire et blanche aux plumes soyeuses.

Elle était née très belle. Malheureusement, elle n’avait pas de bec. Enfin, si, elle avait un bec bien jaune mais celui-ci ne produisait que des sons éraillés, enrayés, tel un disque tout rayé.

Alors que les autres piaillaient naturellement de douces mélodies, Sylvie cassait littéralement les oreilles de tout le monde.

Elle avait beau essayer, aucun son juste ne sortait. Elle avait fini par se faire une raison. Même sa maîtresse ne l’interrogeait plus, ça l’énervait trop.

Alors Sylvie avait fini par piailler autrement. Après tout, la nature avait bien fait les choses : elle pouvait faire des marques au sol avec ses griffes, dilater ses pupilles pour faire passer  des messages à certains, envoyer des feuilles ou encore taper avec son bec sur les arbres.

Oui, après tout, il était tout à fait possible de s’exprimer avec autre chose qu’avec un bec. Pourtant, lorsqu’elle dessinait, elle éprouvait toujours le besoin de faire des beaux becs à ses pies, ainsi elle arrivait mieux à respirer ! Et puis, elle aimait aussi beaucoup écouter et admirer les pies chanter, celles qui faisaient des magnifiques concerts émouvants devant d’autres.

Elle aurait bien aimé être à leur place, elle en rêvait secrètement mais lorsque l’on est une oiselle éraillée, mieux vaut se taire ! Il y a dans la vie des endroits où il y a de grands sens interdits…

Et un jour d’oubli, se croyant seule dans son lit, elle s’autorisa à brailler, chanter, hurler tout ce qu’elle avait sur le cœur : tout, les rancunes, les rancœurs, les injustices, l’intolérance subie, les pleurs et les humeurs, le manque, le doute, l’inconstance, l’invasion, les heurts et après un immense cri, une douleur intense, celle d’un oubli.

Puis un autre, et encore un autre. Ils arrivaient en trombe, telles des rafales, des mitraillettes qui partaient dans tous les sens. Non, jamais son corps n’avait oublié. Jamais : les jugements, les invasions, les intrusions, les paroles déplacées, les regards mal placés, les viols en tous genres.

Oui, son corps s’était mis à se libérer. Hurler, enfin hurler, la douleur, la terreur, l’abandon, l’intense abandon, l’immense vide et là, soudain, c’était comme s’il y avait enfin quelqu’un au plus profond tréfonds d’elle-même.

Un son, un immense son, d’intenses sanglots qui lui disaient : « je suis là, non, je n’ai pas oublié, je n’oublierai jamais. Je suis là, mon ange, je suis là pour te rassurer. Je pleure avec toi désormais. Tu n’es plus seule. Je suis ton papa et ta maman. A travers le chant, tu pourras dire qui tu es, tu pourras chanter désormais. Plus personne ne t’interdira quoique ce soit. Fini d’être en cage. Tu es libre, libérée, délivrée. Tu peux suivre ta voix, ta voie désormais. J’ai foutu les sens interdits en l’air pour toi. »

Dès lors, la voix de Sylvie se libéra, se remit dans sa trajectoire, et de douces notes commencèrent à sortir pour faire de belles mélodies, fragiles et puissantes à la fois.

Et Sylvie apprivoisa sa voix, sa voie, sa voix, sa voie…